Mercury
600 cm3 Rex Light de Laurie Jenks - 1937
Quand l'Anglais s'y met !
L'histoire transversale de l'usage de l'aluminium dans les motos nous a déjà emmenés aux États-Unis avec les
Schickel, en Allemagne avec
Neander, en Italie avec
FM (Fratelli Molteni) et en France avec
RM et
MGC. Voilà ensuite que les Anglais s'y mettent, et ça fait mal !
Tout commence en 1933 à Croydon à une quinzaine de kilomètres au sud de Londres. Laurie Jenks, ingénieur, et Len Swabey, plutôt spécialisé dans les moteurs, tous deux motocyclistes convaincus, gros rouleurs et bricoleurs patentés, ont monté un atelier spécialisé dans la mise au point des Scott. Las de leurs cadres fragiles et mal suspendus, qui supportent fort mal les routes défoncées de l'époque, ils décident de faire le leur à leur idée. Pour le moteur, la question ne se pose pas, ils sont tous deux fanatiques inconditionnels de
Scott et son 600 bicylindre deux temps s'impose, mais sérieusement dopé. Laurie Jenks dessine le cadre et les deux compères réalisent illico un prototype en tubes d'acier pour valider le concept. Leur idée est pourtant claire dès le début : il sera en aluminium. Et ils espèrent bien lancer une production en série.
Oui, l'avant ressemble à une fourche télescopique, mais approchez-vous...
On a bien un guidon et deux tés articulés sur une colonne de direction, mais cette partie haute est bien moins classique qu'il n'y paraît. L'axe de la colonne de direction est ici relié et articulé sur le cadre par une sphère de 5 cm de diamètre en son centre qui est enserrée dans une coquille boulonnée sur l'avant du cadre qui forme l'une des demi-sphères. Le concept général de la suspension est inspiré par la fameuse fourche OEC, notablement simplifiée, puisqu'il n'y a plus que deux tubes de fourche au lieu de quatre et plus de biellettes sur les parties hautes et basses. Il s'agit d'un curieux mélange entre la fourche
OEC, dont elle revendique la rigidité, et la fourche Earles. Contrairement à cette dernière, le bras oscillant, au lieu de tourner avec la fourche, est ici articulé au bas du cadre et relié à la fourche par des biellettes. Pourquoi, faire simple ! Quasi normale, la fonction de suspension est réalisée comme sur les OEC. L'axe de roue est fixé sur des pattes qui coulissent dans des fentes sur l'avant des tubes de fourche et s'appuient en bas et en haut sur des ressorts. Le débattement est conséquent : 127 mm. C'est ensuite que ça se complique. Pour assurer la rigidité de tout cela, le bas de la fourche est relié de chaque côté par une biellette articulée (transversalement) d'un côté sur le tube de fourche, de l'autre en bout d'un bras oscillant articulé (de haut en bas) à la base du cadre. Dommage, cet élément n'est pas en fonderie d'alliage léger, mais en bronze, plus résistant, et beaucoup plus lourd.
Aussi improbable à l'arrière
Tout aussi originale, la suspension arrière, qui offre le même débattement qu'à l'avant, fait appel à de courtes biellettes qui s'appuient sur des éléments télescopiques placés au-dessus des longerons supérieurs du cadre et partiellement dissimulés par l'habillage de la machine. Le duralumin étant difficile à souder et à réparer, nos ingénieurs bricoleurs ont résolu le problème (comme Neander en son temps) en choisissant une construction à base d'éléments matricés en plus ou moins rectilignes et rivetés sur des éléments de fonderie. Le confort étant la priorité absolue, la Rex Light est chaussée de fort gros pneus pour l'époque de 4,00 x 19' à l'avant comme à l'arrière et la selle à double étage (qui préfigure celle de la Velocette LE) est en Dunlopillo. L'équipement est au meilleur niveau: freins à tambour de 200 mm, réservoir de 22,5 litres avec une boîte à gants et à outils intégrée sur le dessus et même un petit réservoir d'huile avec un goutte-à-goutte sur la chaîne de transmission. Ainsi faite la deuxième Rex Light construite, sera chronométrée à Brooklands en 1937 à 136,63 km/h, pas si mal pour une moto de plus de 200 kg avec un 600 cm3 de 1933, et un pilote de 80 kg en tenue de motard voyageur qui effectua même une partie de sa démo les bras croisés pour bien montrer la stabilité de la machine en dépit du mauvais revêtement de Brooklands.
5 faites à 4 en 5 ans
La petite affaire de Lenks et Swabey devient Mercury Motors en 1938 et les cinq Mercury construites et baptisées Rex Light ne sortent des ateliers du n° 1 à Canterbury Road à Croydon que quelques semaines avant la déclaration de guerre ce qui fait écrire à une plume anglaise renommée que « la Mercury eut sans aucun doute remporté un grand succès si la guerre n'avait éclaté
». Hum, bel optimisme patriotique !
La motorisation est assurée par des moteurs Scott bicylindres deux temps achetés d'occasion, sauf pour la machine personnelle de Laurie Lenks qui adopte une alimentation par disques rotatifs intégrés dans les carters moteurs modifiés pour la circonstance. Les disques montés sur un double roulement reprennent l'entraînement initialement destiné à la pompe à huile et le moteur privé de son graissage séparé fonctionne dès lors au mélange. Les lumières d'admission d'origine sont obstruées par une fine plaque d'acier et un carburateur Amal est fixé sur chaque côté des carters. Laurie Jenks annonce que sa Mercury-Scott ainsi traitée atteint 145 km/h à environ 4000 tr/min et offre de bien meilleures accélérations tout en consommant moins que les moteurs classiques. Dommage seulement qu'elle frise les 205 kg !
Moteur Scott bicylindre deux temps à refroidissement liquide de 1933 - 598 cm3 (73 x 71,4 mm) - 4000 tr/min - Vilebrequin à volant central et manetons en porte-à-faux - Alimentation par disques rotatifs et 2 carburateurs Amal - Graissage par mélange - Partie cycle à double berceau constitué de tirants en duralumin extrudé et rivetés - Habillage en panneaux de Duralumin - Fourche avant spécifique OEC-Earles - Suspension arrière à biellettes et double amortisseur à ressorts - Freins à tambour simples cames ø 200 mm - Pneus 4,00 x 19" - 204 kg - 145 km/h.
La moto personnelle de Laurie Jenks qui, original jusqu'au bout, utilisa longtemps cette machine avec une poignée de gaz montée à gauche avec un embrayage à double commande au pied et à main et un réservoir de 23 litres recouvert de moleskine. Notez aussi les amortisseurs au-dessus du triangle arrière du cadre.