Norton Cosworth 1976-1988: Un si beau cauchemar

Norton n’a pas le sou, Cosworth,n’a pas de temps et le fameux moteur prévu pour 1973, n’apparaît qu’en 1975 avec des résultats désastreux. Il n’obtiendra qu’une unique victoire à Daytona en 1988 avec la Norton Quantel.

Dave Croxford sur la Norton Challenge à moteur Cosworth aux 200 miles d’Imola en 1976.

D’après Peter William, le pilote-ingénieur de l’écurie Norton qui travailla d’ailleurs ensuite pour Cosworth, « le principal défaut était que trop de personnes avaient participé au projet ». Pour lui, l’un des principaux responsables des erreurs commises était le Docteur Stephan Bauer, conseiller technique de Norton, qui insistait sur la nécessité d’avoir un moteur massif et symétrique pour donner une image de robustesse et réduire les coûts. Échaudé par l’expérience de Royal Enfield dont les bicylindres dotés d’un palier central se révélaient néanmoins fort fragiles, l’équipe de Norton insista pour conserver un calage identique à celui de la Commando avec des manetons à 360 ° (les pistons montent et descendent en même temps) exigés en prévision de futurs modèles qui devaient pouvoir fonctionner avec un seul carburateur ! Le Cosworth de la Norton P86 ne tourne donc que sur deux paliers (lisses) et reçoit un très lourd volant central. Pour contrer les vibrations, on lui greffa deux arbres d’équilibrage contrarotatifs entraînés par engrenages sur le vilebrequin. Bielles et pistons sont ceux du moteur de Formule 1. Le refroidissement est liquide et l’entraînement des arbres à cames s’effectue par courroie crantée principalement pour satisfaire aux normes limitant le bruit à 86 dbA en prévision d’une hypothétique P87 de route qui devrait développer 75 ch. Le résultat est désastreux. Ce moteur, dit de course, est un monstre de 88,5 kg dont 34 pour les équipages rotatifs y inclus 9 pour les balanciers. Comment lutter avec un tel handicap face à des deux temps de 125 chevaux avec des moteurs de moins de 65 kg et 18 seulement pour le vilebrequin et ses pistons. Cerise sur le gâteau, comme Norton est à court d’argent et que Cosworth manque de temps, ce moteur, qui est conçu pour une alimentation par injection comme en Formule 1, ne reçoit chez Norton que deux carburateurs Amal Concentric Mk2 de Ø 40 mm dont l’inadéquation avec le profil des pipes d’admission fait revoir la puissance à la baisse. De 100 chevaux au banc, avec un système d’injection expérimental, à 95 ch.

Dans le paddock d’Imola en 1976 : Le réservoir est en alu tout comme le caisson arrière surmonté du boîtier de l’allumage électronique Lucas Rota.

La partie cycle de la Norton Challenge est a priori plus convaincante. Elle aussi s’inspire de la Formule 1 avec des structures ultralégères boulonnées sur le moteur porteur, Un treillis à l’avant pour soutenir la colonne de direction et une boucle arrière. Le bras de suspension en fonderie d’aluminium s’articule directement sur le carter de la boîte de vitesses. Pour une maintenance ultra rapide et pour faciliter au maximum les démontages de roue, les roulements sont dans le bras avec sur le côté droit un disque de frein extérieur et une couronne de transmission à l’intérieur.

Disque de frein à l’extérieur, couronne de transmission à l’extérieur et roulements de roues dans le bras de suspension. On peut ainsi ôter la roue en quelques secondes.
La Norton Challenge est désormais exposée au National Motorcycle Museum à Birmingham comme toutes les autres versions.

Comment Cosworth si brillant en Formule 1 avec son 3 litres DFV a-t-il pu commettre autant d’erreurs ? 

Après des essais au banc prometteurs, le Norton Cosworth s’avère plutôt décevant. La mise au point prend plus de temps que prévu. La Norton Challenge P86 doit faire ses débuts en 1973, puis en août 1974 aux journées John Player à Silverstone, mais le prototype à suspension arrière monoamortisseur que teste Peter Williams est finalement équipé du vieux moteur Commando. Ni Peter Williams, ni Dave Croxford ne finissent d’ailleurs la course.

La rentrée du Cosworth est reportée à Dayona en mars 1975, il n’est hélas toujours pas prêt et pas plus pour le TT en juin. Il n’apparaît qu’à Brands Hatch en octobre 1975 aux mains de Dave Croxford qui est éliminé par une chute de huit pilotes du peloton groupe dans le premier tour.

Les problèmes majeurs viennent du surpoids du moteur, de surpressions internes mal maîtrisées, et de la boîte tandis que la tenue de route souffre d’un trop grand frein moteur en entrée de virage. Le projet qu’on s’attend à voir abandonné, survit cependant à la faillite de NVT, sous la houlette de Norton Villiers Performance Shop, une branche indépendante de NVT établie sur le circuit de Thruxton. Victor Palomo (largement appuyé par la fédération espagnole) et Phil Read envisagent de piloter la moto en 1976, mais les négociations, on comprend sans peine pourquoi, n’aboutissent pas. Grâce à une collecte de fonds auprès de ses fans, la Norton Challenge peut finalement s’engager à Imola 200 en avril 1976 avec une version qui adopte, enfin, l’injection et une partie cycle redessinée avec colonne de direction raccourcie pour abaisser la moto, moteur 5 cm plus bas et plus incliné vers l’avant.. C’est, hélas, encore une catastrophe et la Challenge est considérablement moins rapide que les Kawasaki d’usine.  Elle ne fera plus qu’une ultime sortie officielle à la première rencontre du Match anglo-américain à Brands Hatch où Dave  Croxford se retire dans les deux manches sur ennuis de boîte.

La version de juin 1978

On le sait, les motos anglaises ne meurent jamais.Passée aux mains d’écuries privées la Challenge réapparaît brièvement en 1978 avec une version 823 cm3 à carburateurs dont la partie supérieure du cadre est remplacée par une structure unique tubulaire et plus classique

Au milieu des années 80 le projet de la Norton Cosworth est relancé par l’Écossais Ian Suntherland, qui a mis la main sur deux prototypes et des pièces lors de la faillite de NVT. Il fait réaliser par Harris une nouvelle partie cycle tubulaire toujours avec une partie avant et une partie arrière boulonnées sur le moteur porteur. La fourche avant est équipée d’un volumineux montage anti-plongée. Le bras de suspension arrière en alliage léger avec ses roulements intégrés et couronne et disque du même côté est remplacé par bras oscillant en treillis tubulaire qui fait travailler un amortisseur unique monté sous le moteur. Les roulements de roues sont classiquement dans le moyeu et l’axe de roue est monté sur excentriques pour le réglage de la chaîne . Les roues sont de 16 pouces à l’avant et de 18 pouces à l’arrière. Le moteur 823 cm3, testé avec carburateurs et avec l’injection, est annoncé pour 115 chevaux à 10 750 tr/min.

Sur la Suntherland, le moteur est toujours porteur et si la partie avant constituée d’un treillis tubulaire fixant la colonne de direction au haut moteur, n’a guère changé, le sous-ensembles arrière du cadre Harris, en tube et non plus en aluminium, abandonne les deux amortisseurs latéraux pour un amortisseur unique sous le moteur.
Pour abaisser la moto au maximum, la partie avant de la coque formant réservoir descend sur les côtés.
Ian Suntherland, un écossais passionné relance le projet au milieu des années 80 (notez la belle lignée de Manx derrière !)
Le dispositif d'anti-plongée
Les carbus ou l’injection (les deux ont été testés) sont alimentés par une pompe électrique.
Un agencement bien curieux de la transmission avec un pignon intermédiaire.
Paul Lewis et Bob Graves posent derrière la Quantel-Cosworth en 1986. « Comparé à une moto de Grand Prix, c’est un vrai tracteur » commentait Paul Lewis, « mais la Quantel est très stable et j’apprécie beaucoup qu’elle ait la même géométrie que ma moto de GP ».

C’est ensuite au tour de Bob Graves, spécialiste de l’informatique et plus tard directeur de Cosworth engineering, de reprendre le projet avec un coquet investissement de 100 000 £. Pour ce prix, Bob Graves, qui est convaincu par les choix de départ du Docteur Stefan Bauer, réussit enfin à fiabiliser ce moteur dix ans après sa première apparition. La moto, rebaptisée Quantel, adopte encore une toute nouvelle partie cycle développée par Exactweld. Le moteur de 823 cm3 et 125 chevaux est toujours porteur. Il reçoit à l’avant une coque en aluminium qui supporte la colonne de direction et une fourche… de Suzuki. À l’arrière, une très massive triangulation en aluminium s’appuie sur un amortisseur presque horizontal au-dessus de la boîte.  L’ensemble des deux pièces du cadre ne pèse que 6,5 kg et les deux roues sont revenues à 18 pouces. Cette unique Quantel Cosworth pilotée par Paul Lewis participe en 1986 à la « Battle of the twins » à Daytona.  Elle se bat, derrière la Cagiva-Ducati de Marcio luchinelli , pour la seconde place avec le champion de la catégorie Jimmy Adamo avant que ce dernier ne chute sur l’anneau de Daytona a près de 260 km/h, laissant à Paul Lewis le seconde marche du podium. “Comparé à une moto de Grand Prix, c’est un vrai tracteur commentait alors Paul Lewis mais la Quantel est très stable et j’apprécie beaucoup qu’elle ait la même géométrie que ma moto de GP. Il faut attendre l’édition 1988 de cette mémorable “Battle of the Twins” à Daytona pour voir la Quantel donner au moteur Cosworth l’unique victoire de sa carrière en remportant cette fois la Battle of the twins avec Brit Roger Marshall (mais en l’absence des Ducati engagées en superbike).

Tout a changé une nouvelle fois avec une toute nouvelle partie cycle en aluminium.
Le refroidissement a été particulièrement soigné avec trois radiateurs.
L'entraînement des ACT

Contrairement aux apparences les changements majeurs ne sont pas dans la partie cycle mais dans le moteur enfin fiabilisé grâce aux investissements colossaux de Bob Graves dans le projet.


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4 commentaires sur “Norton Cosworth 1976-1988: Un si beau cauchemar

  1. François Arsène dit :

    François-Marie, tu as très bien résumé cette aventure. En fait, avec le recul on peut de demander si quelqu’un chez Norton ou Cosworth y croyait vraiment. Un esprit sensé aurait rigolé devant une telle accumulation de nonsense pour employer un understatement british. Bref, ne tirons pas sur une ambulance !

  2. Denis COURBIS dit :

    Très bel article bien documentée qui montre bien les difficultés des constructeurs anglais à faire évoluer et fiabiliser leurs twins, alors que les japonais sortaient des 6 cylindres…

  3. Merci pour cet article, je n’avais jamais entendu parler de ce bicylindre à 360° avec arbres d’équilibrage conçu par Cossworth qui me rappelle le moteur des Super Ténéré et TDM conçu dans les années 90 et ayant remporté le Dakar.
    Pour la vitesse difficile d’être aussi compétitif qu’un V twin à 90° qui est équilibré naturellement, a un effet gyroscopique limité, et n’est pas plus large qu’un mono avec une disposition transversale du vilebrequin.
    En dehors des V2 à 90°, les derniers bicylindres qui sortent actuellement ont tous au moins un arbre d’équilibrage, même les flat twin BMW et les Harley, les premiers pour compenser le désaxement de bielles, le deuxième du fait d’un V à seulement 45°.
    cordialement,

  4. jackymoto dit :

    Comment une boite comme Cosworth avait elle accepté un cahier des charges aussi impossible?
    34 kg d’équipage mobile, même un moteur agricole diesel fait bien mieux que ça.
    Même la meilleure partie cycle ne pouvait sauver ce machin.Il était temps que Norton arrête de faire des motos…