Motos d’alu #1 – Schickel 1912 : L’ancêtre absolu

Norbert Schickel

Une innovation absolue en moto créée en Amérique, c’est fort rare, et quand en plus il s’agit d’un moteur deux temps et d’un cadre coque en aluminium, cela relève de l’invraisemblable. C’est pourtant ce que nous devons à Norbert Schickel dès 1911.

Photos : archives Ken Anderson

La Schickel est le premier deux-temps américain et à ma connaissance le plus gros monocylindre deux temps jamais construit à cette époque. C’est aussi la première moto à cadre-coque en alliage léger et la première à offrir une gestion de la transmission par poignée tournante. Comme bien des ingénieurs illuminés, Schickel voulait faire de la qualité et de l’innovation… pour des clients qui n’en avaient malheureusement rien à faire
La Schickel 500 version 1912 à transmission directe par courroie plate.
La toute première Schickel présentée en 1911 au salon de Chicago.

Je pensais, comme vous peut être, que la moto RM présentée par les Ets René Macé au salon de Paris en 1923 était la première moto à cadre en aluminium et puis voilà que je découvre un livre écrit par Ken Anderson, le petit-fils du constructeur Norbert Schickel.

La première moto Schickel, présentée au salon de Chicago de 1911, et produite dès l’année suivante est bel et bien la première à cadre en aluminium, bien que il soit plus juste de dire en tubes et coques aluminium. Et si ce n’était que ça ! Ces belles Américaines sont également les premières motos d’outre-Atlantique à avoir un moteur deux temps, un 500 cm3 qui, passé à 695 cm3 en 1913, sera l’une des plus grosses cylindrées unitaires jamais construite dans ce cycle. On connaissait bien sur l’Evans de 98 cm3 en 1918 à 1924 avec un moteur fabriqué par Cycle Motors à partir de 1915, la Cleveland 270 et le flat twin dû à Johnson en 1918, mais ce gros Schickel de Norbert s’affirme, sauf erreur, comme le plus gros monocylindre deux temps construits à l’époque et il est bien singulier.

Norbert Schickel en train de contrôler les pièces dans son usine de Stramford en 1912.

Norbert Schickel, l’un des huit enfants d’un architecte d’origine allemande, naît à New York le 28 juillet 1886. Passionné par la mécanique il s’engage vite dans cette voie et il est encore étudiant à lorsqu’il dessine et réalise le moteur de ses rêves : un bien curieux deux-temps où il s’est acharné à réduire au maximum le nombre de pièces en mouvement : 3 seulement contre 33 pour un moteur quatre temps classique, affirme-t-il. Il a aussi déjà jeté les plans d’une partie cycle plus novatrice encore avec une coque supérieure en alliage d’aluminium faisant office de réservoir qui va s’avérer être la première du genre. Il dépose enfin, dans sa dernière année d’études, son premier brevet sur un système d’admission d’air forcé pour un moteur deux temps. Sitôt diplômé de l’université de Cornell, Schickel est engagé le 22 septembre 1909 par les automobiles Franklin à Syracuse (NY) où il occupe divers postes tandis qu’il passe la plus grande partie de ses nuits à dessiner les plans de sa future motocyclette. N’y tenant plus, il quitte Franklin en 1910 pour se consacrer à sa moto. Il en construira quatre versions différentes entre 1907 et 1911, et il présente la plus aboutie d’entre elles au Salon de la moto de Chicago en février 1911.

Le plus gros mono 2 temps au monde

Alors que toutes les grandes Américaines s’engagent dans la même voie des gros quatre temps, le prototype présenté par « The Schickel Motor Company » qui vient tout juste d’être créé est une vraie révolution ! Il est le premier deux-temps réalisé aux États-Unis, la première moto à commandes par poignée tournante du réglage de transmission, la première ayant une magnéto avec un réglage de l’avance par rotation de la magnéto, et surtout, la première à offrir un cadre-coque-réservoir en alliage d’aluminium. Une innovation brevetée tout comme sa suspension avant et son garde-boue arrière qui, vus de l’Europe, ne nous étonnent pas outre mesure.

Le moteur est un deux-temps conventionnel (pour l’Europe, pas pour les États-Unis !) à trois transferts lubrifié au mélange… à 20 % quand même ! Enfin, pas tout à fait conventionnel quand même. Dans son principe tout d’abord puisqu’il invente une admission réchauffée grâce à une pipe d’admission pratiquement enroulée autour de celle d’échappement. Dans sa construction ensuite avec un volant d’inertie-vilebrequin forgé d’une pièce qui supporte une bielle montée en porte-à-faux comme sur les fameuses Scott.

Ne vous laissez pas abuser, ce n’est pas la face droite du moteur, mais la gauche, car le carbu est vers l’avant est sa pipe d’admission est réchauffée par celle de l’échappement qui s’enroule autour.
Une publicité de 1912 montre clairement les éléments constitutifs du moteur.
Vue du moteur côté magnéto.

Un montage plus qu’original. (A) L’embiellage monobloc fixé sur le flanc du carter côté transmission (qui contient l’unique palier) vient s’encastrer et se boulonner sur le carter principal (B). La vue (C) montre l’ensemble monté. A l’opposé de la transmission, le boîtier cylindrique reçoit la magnéto entraînée par un toc fixé (avec une platine ressort intermédiaire) sur la bielle au point restant en constant alignement avec l’axe du vilebrequin (D). (un système similaire a existé sur les moteurs Moussard dans les années 20.) (E) La magnéto qu’on voit ici dans son logement (étanche) est par ailleurs montée sur un support et la rotation de l’ensemble commandée au guidon assure le réglage de l’avance.

Nous utilisons les plus grands roulements à billes jamais montés sur des motos proclame la publicité de 1912 et, c’est fort heureux, car le vilebrequin ne tourne que sur un palier ! À gauche, la queue de vilebrequin reçoit la poulie reliée à celle flanquant la roue arrière par une courroie plate de 4,45 cm. Le réglage de la tension et le désacouplage de la courroie sont assurés par un bras terminé par un rouleau qui s’articule sur la queue de vilebrequin et dont le déplacement est commandé par poignée tournante sur la branche gauche du guidon. À droite, la magnéto contenue dans un carter étanche est entraînée par un emboîtement à tournevis sur le point de la bielle restant constamment en ligne avec l’axe du vilebrequin, une lame de ressort intermédiaire assure l’isolation de la magnéto des vibrations. Le réglage de l’avance (± 6°) s’effectue par rotation d’un cadre rond sur lequel est montée la magnéto commandée par câble et manette à main droite.

Première mondiale révolutionnaire : le cadre coque en fonderie d’alliage léger de la Schickel. Les tubes avant et arrière du cadre s’emboîtent à l’avant et à l’arrière, le cylindre est boulonné au fond de la boîte à outils et la boucle postérieure du cadre boulonnée sur l’arrière.

Coque aluminum

Ce moteur hors normes s’accroche sous un cadre encore plus original puisque toute la partie supérieure est une coque-réservoir en alliage d’aluminium qui, sur le dessin, semble d’une assez invraisemblable finesse tant pour la résistance que pour les possibilités techniques de fonderie.. Cette coque-réservoir, façon MGC, mais douze ans avant, intègre la colonne de direction et deux manchons dans lesquels viennent s’emboîter les tubes avant et arrière en acier du simple berceau soutenant le moteur. La fourche supérieure du triangle arrière du cadre est boulonnée sur l’arrière du réservoir. Joli, non ? Sur le dessus de cette coque-réservoir cylindrique aux formes typiques des motos sportives américaines de l’époque, se trouvent deux gros bouchons vissés de 5 et 7,6 cm de diamètre ; le petit pour le mélange à 20 %, l’autre étant le couvercle d’une boîte à outils au fond de laquelle se boulonne la culasse du moteur pour rigidifier l’ensemble. Un bouton moleté derrière ces deux bouchons ouvre le robinet (comme sur les premières Mobylette). La fourche maison est à roue tirée suivant un brevet déposé par Norbert Schickel en juillet 1916 et il attaquera plus tard avec succès Indian qui lui paiera 15 € pour 10 000 machines construites utilisant sans accord une suspension de même dessin et 250 € pour les droits d’utilisations à venir

Convaincu par ses prestations au salon de Chicago, le jeune Schickel, qui n’a encore que 25 ans, loue une usine à Stamford (Connecticut) à une soixantaine de kilomètres de New York et promet les premières motos Schickel pour janvier 1912 ! Optimiste le garçon ? Même pas, ses premières motos s’exhibent au salon tenu à Madison Square Garden le 6 janvier 1912 et il se vend de 75 à 100 unités dès cette première année ; un résultat plus qu’honorable vu que la jeune marque n’a pas encore de réseau. La liste des heureux acquéreurs pieusement conservée par la famille indique même plus de vingt exportations dont une à Tokyo, trois à Londres, et un exemplaire à Anvers, Berlin, Dublin, Glasgow et Porto. On a les noms, elles y sont peut être encore !

1913 : Trois nouvelles Schickel

Norbert Schickel ne reste pas inactif et rajoute trois nouveaux modèles à celui existant pour 1913. La grosse nouveauté est l’apparition d’un moteur 6 HP principalement destiné au side-car avec la même course de 85,7 mm et un alésage qui passe à 101,6 mm pour donner une cylindrée, énorme pour un deux-temps de 695 cm3 ! Les côtes moteur carrées sur la 500 (85,7 x 85,7 mm) deviennent super carrées sur la Big 6  à 101,6 x 87,5 mm).  Whaouh ! plus de 10 cm d’alésage, ça fait quand même une grosse gamelle ! Comme la 500, cette « Big 6 » se décline en versions à chaîne et à courroie comme d’ailleurs la 500.

Il convient d’ailleurs plutôt de dire modèles à chaînes, car ces versions en possèdent trois ! Une courte chaîne de transmission primaire, sous carter aluminium, entraîne un embrayage « Eclipse » monté sur l’axe du pédalier puis une chaîne secondaire qui assure classiquement la transmission de l’embrayage à la roue arrière. L’embrayage reste commandé par poignée tournante à gauche comme pour les modèles à courroie où cette fonction était assurée par un relâchement de la tension. La troisième chaîne, vous l’avez deviné est, à droite, celle de la transmission vélo, un même axe recevant le pédalier et l’embrayage avec ses chaînes d’entrée et de sortie. Dernier raffinement, Norbert Schickel a pris soin d’utiliser la même chaîne 3/8 x ¼ in avec le même nombre de maillons pour la transmission secondaire et la transmission vélo… une panne peut toujours arriver !

Fin 1913, Schickel fait encore plus fort avec ce monocylindre de 695 cm3 (101,6 x 87,5 mm) ici dans s version de base à transmission moteur directe par courroie. On peut heureusement aider et démarrer avec le pédalier et sa chaîne ! le petit frein arrière à bande s'actionne soit par pédale soit par rétropédalage.
La Schickel de 1913 dans sa version à transmission par chaîne. L’axe de pédalier de la transmission vélo sert également d’intermédiaire en les transmissions primaire et secondaire et reçoit l’embrayage. En vignette, la très sophistiquée suspension de la selle.

1914 : Ford m’a tuer

Il n’y a pas de nouveau modèle pour 1914, mais la Big-6 est définitivement passée en tête des ventes et s’offre quelques options : une boîte deux vitesses, une nourrice d’essence, des repose-pied suspendus et une pédale de frein qui remplace la commande par rétropédalage. Les pneus passent à 28 pouces avec des garde-boue plus sportifs. Enfin le side-car Schickel est proposé à 85 $ ce qui fait un attelage à 325 $.

La concurrence vient pourtant d’ailleurs, en l’occurrence des automobiles d’Henry Ford qui cette même année 1914 a vendu 308 162 Ford T à 440 $ soit environ quatre mois de salaire moyen d’un employé.

La 700 cm3 Big 6 en 1914, avec son option side-car. On imagine sans peine le bruit de tracteur aux bas régimes !

1915 – 1916 : La Transcontinentale et la Lightweight

Norbert Schickel tire la conclusion qui s’impose et convertit sa production qui est entièrement axée dès l’année suivante sur sa nouvelle Lightweight, un petit 200 cm3 deux-temps utilitaire affichant 45 kg et 40 km/h avec une consommation de 2,36 l/100 km pour tout juste 100 $.

Pour lancer cette mobylette à l’américaine, Norbert Schickel, toujours très porté sur la publicité, finance le projet de M.E. Dale, rien de moins qu’une « “Transcontinentale” : la traversée des États-Unis depuis l’usine de Stamford à une soixantaine de kilomètres de New York dans le Connecticut, jusqu’à l’exposition de San Diego sur la côte Pacifique en Californie. 4 600 kilomètres que Gale, parti en juin 1915, espère couvrir en 100 jours au guidon d’une Big-6 à boîte deux vitesses tirant une réplique du chariot des pionniers de la conquête de l’ouest (avec des roues de moto quand même) qu’il a fait construire spécialement. Ses deux fils ont pour rôle de tourner autour de la caravane au guidon de Schickel Lightweight et de faire des démonstrations-vente dans toutes les agglomérations traversées. La presse ne dit malheureusement pas si cette épique traversée est arrivée à bon port.

En 1915, Schikel conscient que 3 millions de bicyclettes aux Etats-Unis n’on pas de moteur transforme le moteur de la Lghtweight en adaptable sur roue arrière de vélo (25 kg quand même !) Quoi qu’il en soit, les affaires, hélas, ne redémarrent pas et quand la Lightweight commence à avoir un certain succès en 1916, il est déjà trop tard pour sauver la compagnie d’autant plus que l’usine n’est pas en mesure d’assurer une assez grande production. Une augmentation de capital en décembre 1916 remet l’usine à flot et motos sont rebaptisées SMC pour Schickel Motorcycle Company ce qui évite les rejets de certains pour tout ce qui porte un nom allemand. Pas de chance pour Norbert Schickel, la remise sur pied de sa compagnie coïncide avec l’entrée des États-Unis dans le conflit mondial, en avril 1917. Pas de chance, ses motos n’intéressent pas l’armée, il va par contre fabriquer des culbuteurs et différentes pièces pour les fameux « Liberty aircraft ».

Pour lancer sa moto légère en 1915, Norbert Schickel engage M.E. Dale et sa famille qui lui ont proposé une traversée d’est en ouest des États-Unis, comme les pionniers à la différence près que leur roulotte montée sur roue de motos contient deux Schickel Lightweight avec lesquelles les fils Gale batifolent autour de la Big 6 attelée.
Petitesse et décadence avec la Schickel Lightweight de 1915.

Schickel n’est pas le seul constructeur de moto à souffrir de la guerre. On compte plus de 100 constructeurs avant 1905 et une dizaine seulement à la fin des hostilités ! Plus question pour Schickel d’aller affronter les grandes marques sur leur domaine, il décide donc de se cantonner à la moto très légère, passerelle entre le vélo et la moto. Ce sera son Get-out model T de 1918, un 290 cm3 deux temps qui continue à évoluer jusqu’en 1923. Norbert Schickel essaiera alors, sans succès, d’en vendre la licence de construction aux grandes marques qui refuseront son offre. Schickel ferme définitivement ses portes.

Vive internet et la collection mondiale !

Écrire un tel historique il y a quelques années relevait de l’impossible défi. Trouver les archives, en contacter les détenteurs, aller les voir, etc. Tant et si bien que la majorité des histoires de la moto faisaiente l’impasse sur quelques faits lointains et non médiatisés. Fini, aujourd’hui, et merci internet. J’ai pu, en trois clics, retrouver le petit fils de Norbert Schickel, qui m’a illico envoyé des photos  des réalisations de son ancêtre. Merci Ken, et merci et bravo à tous les amateurs, collectionneurs et historiens qui partagent ainsi leur savoir plutôt que de garder leurs secrets enfermés. Maintenant si vous voulez en savoir plus sur les Schickel, il est sans doute encore possible de se procurer sur internet son livre “The illustrated History of the Schickel Motorcycle 1911-1924” par Kenneth Anderson. ISBN‎ 978-0981704807

Ken Anderson, petit-fils de Norbert Schickel.

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Pour compléter cet article avec des photos, merci de me joindre sur info@moto-collection.org

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5 commentaires sur “Motos d’alu #1 – Schickel 1912 : L’ancêtre absolu

  1. BCG 43 dit :

    Bonjour
    il serait intéressant de connaître la consommation d’un tel engin, à cette époque on ne parlait pas de pollution’
    Merci pour cet article

  2. aurier dit :

    Bravo,
    original et instructif, comme d’habitude !

  3. Boulard jean dit :

    Grace à vos recherches nous allons de surprises en surprises , merci pour vos articles toujours aussi captivants

  4. fmd dit :

    Merci,Jean-Stanislas pour ces commentaires élogieux. De fait il faut un poil plus de 3 clics… pour mon plus grand plaisir.

  5. Jean Stanislas Athiel dit :

    Hello ! Chaque nouvel article me passionne, quel régal de se cultiver à travers l’histoire des 2 roues et de leurs créateurs enthousiastes. Bon, je doute que 3 clics suffisent à rédiger un tel article, il faut une culture générale sur un siècle de motos, une envie inlassable de tout raconter, une sacré collection d’illustrations et la volonté de rédiger agréablement une belle aventure…
    Merci encore, cher rédac chef, de m’enchanter et félicitations pour ces encarts sur les aspects techniques, cette marque le mérite bien.
    Bien sincèrement,
    JsA