1948: Monneret crée le rêve en D45. 2020: 3 mecs en rêvent encore !

Vous l’avez sans doute remarqué, on parle plus souvent dans ce blog de moutons à cinq pattes que de motos de tous les jours, et bien voici l’exception, cette édition est entièrement consacrée à la 125 Motobécane D 45, mais dans quelles conditions… brrr…

Les images vous ont déjà renseignés, il s’agit d’un des innombrables raids du grand Georges Monneret qui aimait à se lancer ainsi dans les expéditions les plus insolites tout autant pour faire sa propre pub et celle de ses magasins que pour promouvoir la moto et le scooter par des exploits finalement plus impressionnants et populaires pour le français moyen que des résultats de records ou en course connus des seuls amateurs.

L’aventure d’aujourd’hui, premier exploît de notre champion dans l’après-guerre, nous ramène en février 1948 où Georges Monneret, bouillant quadragénaire accompagné de ses jumeaux Pierre et Jean âgés de 17 ans dont c’est la première épreuve officielle, fait le pari de battre le train avec des vélomoteurs sur un Paris-Alpe d’Huez. Monneret a choisi pour cette équipée la toute récente et déjà très populaire D 45 Motobécane qui est alors seul quatre-temps de grande série.

Photos René Pari – archives moto-collection.org

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Marcel Cerdan (à gauche) donne le départ à Georges Monneret et ses deux jumeaux Pierre et Jean, ici derrière, mais premier à l'arrivée avec 15 minutes d'avance !

3 mecs en Tobec remettent ça en février 2020

72 ans plus tard un sympathique trio de farfelus remettent le couvert au guidon de 3 Tobecs assistées par un vénérable 202 Peugeot et son pilote-restaurateur-mécano Alain Chesseboeuf. Pour moto-collection.org le soutien d’un tel projet était une évidence.

On les dirait tout droit sortis d’un album des Pieds nickelés : forts de 25 ans de passion commune, Jean-Claude Amilhat, Igor Biétry et Thierry Dubois dont vous connaissez certainement les dessins, n’en sont pas à leur coup d’essai en matière d’idée folle. C’est ce trio qui en 2018, avait emmené “Jospéphine” la Juvaquatre sur le circuit de Linas Montlhéry pour commémorer le record réalisé 80 ans plutôt par Renault. Fort du succès de cette opération, les idées ont fusé et les trois compères sont partis avec la Peugeot 202 de 1938 “Félicie” pour un tour de la France en 6 jours et 3300 km. “Trois mecs en tobec” – sur les traces de Georges Monneret et ses fils est dans la même veine…

Jean-Claude, Igor et Thierry : 25 ans de passion commune et d'aventures "hors normes".

Ils partent mercredi 5 février à 22 h de Rétromobile (Porte de Versailles – entrée boulevard des Maréchaux) et l’arrivée est prévue le samedi 8 février à l’Alpe d’Huez à la mi-journée… en fonction du temps.

Premier arrêt ravitaillement de 15 minutes à Saulieu. Il est cinq heures, Saulieu éveille… et même pas le temps d'enlever le casque !

Retour dans l’immédiat après-guerre, en février 1948, où l’immense champion Georges Monneret, bouillant quadragénaire accompagné de ses jumeaux Pierre et Jean âgés de 17 ans dont c’est la première épreuve officielle, fait le pari de battre le train sur un Paris-Alpe-d’Huezavec la toute récente et déjà très populaire 125 D 45 Motobécane qui est alors seul quatre-temps de grande série.

Coup de pub monstrueux, le départ du trio Monneret est donné à Paris le samedi 31 janvier à minuit pétant, par le célébrissime boxeur Marcel Cerdan, grand ami de Georges. La foule est au rendez-vous, de même que toute la grande presse quotidienne qui va rendre compte de l’exploit. Il fait froid, il fait nuit, la pluie menace, et la caravane s’ébranle suivie par un camion d’assistance et trois voitures bondées pour les contrôleurs, les amis et les journalistes.

Georges en tête et les deux petits dans son sillage, les 125 moulinent inlassablement frisant parfois les 65 km/h ! Lassant et épuisant, certes, mais après 13 h 44 dont une heure de perdue en trois arrêts ravitaillement à Saulieu, Lyon et Grenoble, les trois Monneret gagnent leur pari avec pour seul ennui, une ampoule de phare grillée. L’arrivée est fêtée en grandes pompes le dimanche un peu avant 14 heures à l’Alpe d’Huez qui est alors le rendez-vous d’hiver de tout le gotha parisien avec des champions sportifs de toutes disciplines dont Chevalier, Franconi pour la moto et même le très jeune Burgraff qui apparaît sur les photos.

Cette réussite va sans nul doute accroître encore la liste d’attente pour la D 45 car jusqu’en 1949, il faut toujours un bon d’achat pour acquérir une 125 et la liste est longue.

L'avantage de la D 45 est qu'à 60 km/h on peut discuter. L'équipe vient de passer Lyon
Geoges Monneret souriant en dépit du froid… et gonflé à bloc !
Traversée de Grenoble un peu avant midi. Une foule est là malgré la pluie pour admirer les Monneret qui semblent bien peu à l'aise entre les pavés mouillés et les rails encore plus glissants.
Premières neiges la vraie montée va commencer après Bourg-d'Oisans
Les voitures suiveuses ne suivent plus et les Monneret ont dégonflé les pneus pour se traîner vers les 1800 m de la station.
Sprint final après le chasse-neige. Jean qui est passé le premier ne sera pas rejoint.
Georges a tombé casque et combinaison, mais il ne rattrapera pas son fils
Deux pieds qui glissent sur la neige pour assurer et ça passe…
Arrivée en grande pompe et parés pour la fête qui s'annonce, les trois Monneret rigolent sous l'œil admiratif d'un gamin (à gauche en blouson) qui n'est autre que le futur triple champion de France moto puis pilote de F1, Georges Burgraff qui n'a alors que 19 ans.

3,5 fois plus cher en train en 1948, 5 fois plus aujourd’hui !

On a du mal aujourd’hui à apprécier la portée d’un tel événement, mais il touche alors le rêve le plus intense de tous : voyager librement et à bas prix.  Le train est battu à plate couture, en temps et, surtout, en budget.

Le train puis le car à partir de Grenoble mettent alors en effet 15 h 30, soit deux heures de plus sur le même trajet (il faut aujourd’hui 4 h 30 et beaucoup d’euros). Nos trois D 45, elles, n’ont mis que 13 h 44 pour couvrir les 670 km à 48,725 km/h de moyenne et surtout elles n’ont consommé chacune que 16 litres du précieux carburant qu’on a encore bien du mal se procurer en 1948 à 27 F/l (un ouvrier spécialisé gagne alors 100 F de l’heure. Pour info au 30 janvier 2020 le litre d’essence 95 E10 vaut 1,50 € et le salaire horaire d’un ouvrier spécialisé est de 11, 69 €). Cela donne 2,4 litres aux 100 km et 432 F d’essence, un prix dérisoire comparé au train qui, à 2,25 F/km en troisième classe début 1948, aurait coûté 1 507 F pour 670 km. 3,5 fois plus !  

Faisons le même calcul aujourd’hui : une 125 qui aurait miraculeusement la même consommation brûlerait 24 € de carburant pour 670 km et le trajet TGV + car pour l’Alpe d’Huez prend actuellement moins de 3 heures (quand il est à l’heure et pas en grève) et coûte environ 108 € en seconde, plus 1 h 30 de car à 10 €. Sur, c’est plus vite… mais beaucoup, beaucoup plus cher en train, presque 5 fois plus ! Il est vrai qu’on ne roule plus guère en D45 et que les petites et moyennes cylindrées modernes brulent quasiment deux fois plus de carburant, mais, même à 5l/100 km, le Paris-Alpe d’Huez ne revient qu’à une cinquantaine d’euros. Vive la moto !

Motobécane 125 D 45 : Toute l’histoire de la France de l’après-guerre

L’ancêtre direct de la 125 D 45 est l’AB1 de 1937 qui n’est qu’un 100 cm3, pour répondre à la définition du vélomoteur d’alors, la BMA (Bicyclette à Moteur Auxiliaire) limitée à 30 kilos et 30 km/h… en principe ! Les 100 cm3 quatre temps étaient déjà bien rares en France (Gem, Dax) et Motobécane est le premier grand constructeur à s’investir dans le quatre-temps après guerre (Terrot ne commercialise sa 125 EP à soupapes culbutées qu’en 1947). Oubliant son beau prototype à soupapes culbutées développé de 1939 à 1942, Motobécane choisit l’économie maximale avec sa D 45 à soupapes latérales présentée, comme son nom l’indique, en 1945. Puisque les vélomoteurs y ont droit depuis juin 1943, la cylindrée est portée à 125 cm3 et cette p’tite D 45 a trois vitesses commandées à main, avec, en prime, une pédale de débrayage, pour que ses pilotes puissent changer de vitesse à la main gauche tout en gardant le contrôle des gaz à droite. Tout ceci dans le plus pur style des MP (Military Police) de l’U.S. Army sur leurs Harley. Le succès de ce vélomoteur super économique (l’essence n’est vraiment libre qu’en 1948) est colossal et la D 45 dont il a déjà été vendu 35000 exemplaires à la fin de 1948 devient D 45 B avec un carter d’huile plus grand et une fourche renforcée.

Elle s’offre par la suite une suspension arrière coulissante puis une fourche télescopique (D 45 S de 1949) pour enfin recevoir dans sa version luxe de 1954, une fourche télescopique plus cossue, un réservoir de 10 litres et des silencieux, jantes et réservoir chromés. La production de la D 45 cesse en 1961, un long succès dû à son incroyable économie d’emploi et à son prix de 35% inférieur à celui de la 125 culbutée Z 46 apparue en 1949.


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5 commentaires sur “1948: Monneret crée le rêve en D45. 2020: 3 mecs en rêvent encore !

  1. Airy-Hugues MILLET dit :

    Et encore le SP95 E5 convient mieux à ces anciennes!

  2. fmd dit :

    Merci de ces “tristes” nouvelles.

  3. motocine dit :

    Seul un pied nickelé a atteint l’arrivée en trois jours sur le sec à comparé à:

    Georges en tête et les deux petits dans son sillage, les 125 moulinent inlassablement frisant parfois les 65 km/h ! Lassant et épuisant, certes, mais après 13 h 44 dont une heure de perdue en trois arrêts ravitaillement à Saulieu, Lyon et Grenoble, les trois Monneret gagnent leur pari avec pour seul ennui, une ampoule de phare grillée

    La fiabilité des 3 D45 neuves à l’époque ne laisse aucun doute comparé aux ennuis à répétition de nos trois compères.

  4. Patrick Lafave dit :

    Quelle époque ! merci pour cette page d’histoire et de passion !

  5. jackymoto dit :

    Ma D 45 , cadeau d’un ami de la famille, je la faisais assurer quand je ne pouvais plus payer l’essence de la Ratier. Limoges Magny-cours 5h et demi en s’arrêtant juste pour pisser (230 km). Par contre, j’avais
    remmené à la maison mon pote Jean-Paul, dont le moteur de la Yam YAS1 avait mangé les aiguilles d’une bielle dans Montluçon: la côte de Montluçon en direction de Gueret à deux + le barda sur une
    D45 s’était faite en première et nous avions trouvé le temps long! Mon avis sur la D 45, est que ça permettait de rouler pour rien mais c’était un poumon, le pot se bouchait, ça faisait chauffer le moteur qui perdait ses sièges de soupapes ( expérience vécue).
    J’avais récupéré un moteur qui avait 6000km et l’interieur de la bielle (pourtant de grande dimension) ressemblait déjà à de la tôle ondulée.. Comment Motobécane faisait pour usiner des pignons de transmission primaire aussi bruyants quand on entendait pas ceux des Terrot et autres AMC
    (l’AMC est une copie, montée avec des culbuteurs, les frangins Chartoire ne s’en étaient jamais cachés,
    même la boite était a pignon baladeur auto destructeur comme la première…)