Seize ans après le vélocipède à vapeur de Louis-Guillaume Perreaux, premier deux roues à moteur visant la commercialisation, et deux ans après que Gottlieb Daimler installe le premier moteur à explosion dans un rudimentaire cadre en bois avec deux roues de charrette et deux roulettes latérales, le génial Félix Millet construit, en 1887, sa « Roue Soleil » avec un fabuleux cinq cylindres en étoile et, même, un embryon de suspension sous la forme d’un montage du moteur sur quinze anneaux souples formant ressorts ! Il l’installe l’année suivante à l’avant d’un tricycle et en dépose le brevet fin 1888 officialisant ainsi son titre d’inventeur du moteur en étoile rotatif (le vilebrequin est fixe et c’est le moteur qui tourne avec la roue) à ne pas confondre avec le moteur fixe en étoile. (En ces temps bénis, on construisait d’abord et brevetait ensuite).
Le bon Félix est convaincu que l’avenir est aux deux roues motorisés et il y travaille sec. Il faut dire que la concurrence est rude. Paul Daimler, le fils de Gottlieb, a roulé sur 3 km avec la « brouette à moteur » de son père le 10 novembre 1885, et la Hilldebrand & Wolfmuller, brevetée en 1894, a fait ses premiers tours de roue en juin de la même année.
Félix Millet construit sa première bicyclette à pétrole (L’appellation Motocyclette n’est inventée qu’en 1898 par les frères Werner) en 1894 avec sa fameuse « Roue Soleil » à cinq cylindres dans la roue arrière (cet exemplaire est conservé au musée des Arts et Métiers). Elle sera l’une des sensations du deuxième Salon du Cycle organisé en décembre 1894 par la Chambre Syndicale à Paris. Ce salon des pionniers réunit 350 exposants et, pour la première fois, un tricycle à vapeur de Dion Bouton et deux motos : La « Pétrolette », présentée par Duncan & Superbie qui est en fait une Hildelbrand et Wolfmüller allemande francisée pour la circonstance et, sur le stand des cycles Gladiator, la formidable Félix Millet. Sa Roue Soleil a évolué par rapport à celle du tricycle et délaisse le montage suspendu du moteur dans la roue, car Millet vient d’inventer la suspension avant avec une fourche à roue poussée qui joue sur la flexibilité des bras horizontaux supportant la roue et s’appuie via un pontet sur une lame de ressort formant garde-boue. La direction déportée agit via un système de biellettes et la chaîne de transmission du pédalier est sous carter !
Rien de tel que la compétition pour tester un produit et justement un certain Marquis de Dion organise le 11 juin 1895, la première grande course internationale, le Paris-Bordeaux-Paris : 1200 km d’une traite à couvrir en moins de 100 heures. La Félix Millet qui a fait ses premiers tours de roue en public au printemps prend le départ en confiance. Aucun deux ni trois roues n’en réchappera pourtant, mais la Millet couvrira, quand même, 54 km en 3 heures et 8 minutes avant de déclarer forfait.
Satisfait de son expérience Félix Millet entend bien commercialiser sa motocyclette à cinq cylindres et il fait réaliser chez Alexandre Darracq (le très important constructeur des cycles Gladiator) la seconde version « industrialisée » qui est présentée en 1897 (et qui est actuellement conservé dans les caves du Lycée Technique Hippolyte Fontaine à Dijon).
Cette extraordinaire machine cumule les innovations : moteur en étoile, allumage batterie-bobine et trembleur, graissage par mélangeur automatique, guidon basculant vers l’avant qui met automatiquement en place une double béquille latérale, embrayage commandé par poignée tournante ou par rétropédalage avec frein. Et plus encore : une partie arrière du cadre en caisson qui sert de réservoir d’essence et de garde boue, des suspensions avant et arrière oscillantes, une chaîne de transmission du pédalier d’assistance et de démarrage qui passe dans les tubes du double bras oscillant arrière… un délire d’ingénieur comme on les aime. Le tout pèse 60 kilos et sera chronométré à 53 km/h en 1898.
Trop en avance, trop sophistiquée, trop bien en un mot, cet extraordinaire engin n’est pourtant produit qu’à un ou deux exemplaires dans l’usine de Suresnes. Le pragmatique Alexandre Darracq, s’étant sans doute dit qu’un simplissime monocylindre à la façon de Werner ou de Dion avait plus d’avenir qu’un 5 cylindres en étoile, laisse tomber le projet de fabrication de la Félix Millet. Bien des solutions techniques inaugurées sur cette machine révolutionnaire connaitront le succès dans les décennies suivantes, mais il était décidément trop tôt.
Sans succès en moto, la Millet aura toutefois une descendance glorieuse, car les frères Seguin, fondateurs de la société Gnome & Rhône (qui deviendra SNECMA puis Safran) vont reprendre et développer le concept du cinq cylindres rotatif en étoile et présenter, en 1907 leur première réalisation, l’Omega, un moteur aéronautique rotatif à 7 cylindres en étoile.
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