Les motos françaises à transmissions par arbre

Petit tour d’horizon de la popularité de la transmission par arbre pour les motos et des techniques employées. On y verra que ce dispositif n’utilise pas toujours de joint de cardan bien qu’il soit presque toujours nommé ainsi et qu’il y a les partisans du couple conique et ceux de la vis sans fin. Un long combat.

Comme d’usage les liens en bleu vous renvoient vers les fiches descriptives ou les autres articles du blog sur les modèles concernés.

La Moto-Cardan bicylindre en V de 479 cm3 construite dans les ateliers Ader vers 1905 avec, en vignette, son simpliste couple conique précédé d'un joint de cardan. Elle est ici exposée au Top Mountain Museum.

Les premières motos à transmission par arbre sont nées chez nous avec les Ader puis Moto-Cardan monocylindre et bicylindre en V face à la route dès 1903 toutes deux équipées d’un arbre et de deux cardans et d’un couple conique. C’est pourtant en Belgique que FN popularise la technique à partir de la fin 1904 avec sa quatre cylindres de 362 cm3 à transmission par arbre rigide avec un flector absorbant les défauts d’alignement. FN reste fidèle à l’arbre jusqu’en 1919 tandis que chez nous, un peu plus tard, la mode ne prend pas encore. Seules deux apparitions météoriques, la Lutèce 1000 cm3 à deux cylindres en long en 1921 qui propose même un démarreur électrique et les Beatty & Claxton, bien de chez nous comme leur nom ne l’indique pas, en 1922-23, défendront l’art de l’arbre. Après ces mise-en-bouche, la vraie mode de l’arbre arrive en 1929 ; pas de chance, c’est aussi l’année d’une des plus grandes crises financières que le monde a connu et seuls de rares acatènes survivront de la forêt d’arbres conçue à grands frais dans toute l’Europe et présentée à l’aube de la récession. Les petits constructeurs lancés dans ce développement plus onéreux et sophistiqué que la chaîne en seront pour leurs frais et, à partir de 1932, les seuls représentants français de motos à transmission acatène seront deux motos exotiques : Le prototype MGC à quatre cylindres inversés de 600 cm3 et transmission par arbre vis sans fin et la Sévitame construite à quelque 13 exemplaires de 1938 à 39 dans les usines Simca ex-Donnet de Naterre et munie elle aussi d’un pont à vis, mais avec ici une excuse car c’était pour mettre une hélice au bout ! Pour ce qui est des productions en série, il n’y eut qu’Ultima jusqu’à la Guerre, et Gnome & Rhône qui persistera même pendant la guerre et un peu après avec les AX 40 de l’escorte de Pétain nées en 1939 et utilisées jusqu’à l’aube des années 60. On verra après les hostilités les semi françaises CMR puis les Cemec et les brillantes Ratier défendre à nouveau la transmission par arbre jusqu’en 1962. Elles sont suivies par l’extravagant Solex 6000 Flash de 1968 à 72 avant que BFG ne reprenne le flambeau au tout début des années 80.

La Beatty & Claxton 300, 4 temps de 1922 (©BNF-Gallica)
La fameuse Lutèce 1000 cm3 bicylindre de 1921 a-t-elle vraiment roulé ? Sa transmission, probablement par vis sans fin, n'apparaît sur aucun document.
Le moteur Chaise 500 quatre cylindres qui équipait la Dollar en 1930 utilisait un couple conique Lardy.
Bien plus sexy nue qu'habillée, la BFG, dernière moto française à tyrnsmission par arbre exposait son beau cadre dessiné par Michel Guichard au salon de Paris en 1983. La boîte comme la transmission sont conçues par BFG et réalisés en Italie puis en France après le rachat par MBK.

15 marques françaises arborisées et sans compter leurs sous-marques.

Parmi les marques séduites par la mode de la transmission par arbre, Alcyon, Dé-Dé, Dollar, Dresch, Favor, Gnome & Rhône, Helyett, Loriot, Magda, Majestic, Motobécane-Motoconfort, SévitameTrain, Utilia ou Ultima, pour ne rester que dans l’avant guerre peu construisaient eux-mêmes leurs transmissions sans doute seulement Gnome & Rhône, Ultima et Dresch. Pour les couples coniques, l’un des plus gros fournisseurs était les établissements Lardy plus connus sous leur nom de marque Ydral, voisins liés sinon associés avec Bridier-Charron, fabricant de pignonnerie et de boîtes de vitesses, également à Suresnes dans la banlieue parisienne.

Le ver perd…

Un engrenage par vis sans fin se nomme « worm gear « , en anglais, soit engrenage par ver et  je trouve cette appellation d’outre-Manche trop belle et parlante pour ne pas l’adopter. A se tortiller devant son pignon ce ver est supposé absorber beaucoup de puissance (environ 10% de la puissance disponible en sortie de boîte). Certes un renvoi d’angle par roue dentée et vis sans fin est moins couteux à fabriquer et a l’avantage d’être plus silencieux que le couple conique avec des engrenages à taille spiroconique dite Gleason qui va équiper la quasi-totalité des motos à transmission par arbre. Ce couple conique a été popularisé dans le monde entier par BMW et, en France, par Ydral alias Lardy à Suresnes.  Dans la forêt des motos à transmission par arbre de 1929 au début des années 30, il m’a paru intéressant de voir qui, du ver ou du conique, avait la majorité et quels constructeurs avaient profité de cette transmission par arbre pour retourner leur moteur en lui donnant le même sens de rotation que l’arbre et économisant ainsi tout renvoi.

…et le conique séduit.

La Dé-Dé de 1929 se distingue avec un deux temps (un Moussard de 350 cm3) alors que la transmission acatène est en général réservée aux quatre temps plus haut de gamme. C’est aussi l’une des premières motos à intégrer son arbre de transmission à l’intérieur d’un tube (on ne parle pas encore de bras oscillant, il n’y a pas de suspension arrière).

DéDé 350 à moteur Moussard deux temps en 1929.

Chez Dollar, c’est le super marché en 1930. Tous les monocylindres sont (annoncés) disponibles avec transmission par chaîne ou cardan (supplément 850 F). Le moteur Chaise conserve son sens de rotation traditionnel et la transmission s’effectue par arbre et couples coniques (un en sortie moteur, l’autre sur le moyeu arrière) et deux joints de cardans, car, Dollar propose aussi en option une suspension arrière oscillante (supplément 500 F) qui est ni plus ni moins celle de la Majestic qui vient d’être rachetée par l’Omnium Métallurgique dont Dollar est la marque. L’arbre n’est quand même pas donné, et il n’est pas sur qu’il s’en vendit. Une 350 R3 de 1931 vaut ainsi 5250 F à chaîne, 6100 F acatène et… 6600 F si vous y rajoutez la suspension arrière. Au sommet de la gamme se trouve évidemment la quatre cylindres qui, cette fois, n’a pas besoin de renvoi d’angle en sortie moteur, car le vilebrequin est dans le sens de la marche. Sur toutes les Dollar acatènes, Bridier Charron est bien sur de la partie côté boîte et le moyeu-couple conique est un Lardy qui, exceptionnellement, n’utilise pas le frein de même origine, mais un AYA comme le reste de la gamme Dollar.

La transmission Dollar, ici sur le stand de la marque au salon à Paris en octobre 1930, présente un curieux assemblage avec un pont Lardy et un frein AYA.
Le graal, la Dollar 750 T à moteur Chaise V4 de 1932.
Cette sublime Majestic prototype à moteur Ja 750 V twin transversal est basée sur la première version sur chassis séparé. Elle est antérieure au rachat par l'Omnium Métallurgique (Dollar) et sa transmission par arbre utilise un moyeu conique des établissements Lardy alias Ydral.

Dresch, le chantre de la moto économique, n’en a pourtant pas fait sur ses transmissions par arbre et ses 500 bicylindres en long à soupapes latérales ou culbutées ont opté pour le couple conique tout comme les 250 et 350 monocylindres. Ces dernières ont un bloc moteur tout à fait spécifique avec l’axe moteur en long, aligné avec la transmission. Curieusement, la différence de prix avec les modèles à chaîne avec une boîte séparée classique n’est pas énorme. 2700 et 2900 F pour les 250 et 350 acatènes, contre 2375 et 2475 pour les versions à chaînes. Dresch tentera même de perpétuer l’espèce après-guerre en présentant sa 350 deux temps Baltimore avec un bloc moteur redessiné et la transmission par arbre. Ce fut un échec retentissant.

Publicité Dresch en 1928
Une Dresch 350 National 1930 au salon de Limoges.
et une belle photo d'époque du bicylindre Dresch de 1930 immatriculé dans la Seine.
La Dresch 350 Baltimore 1948, mais combien ont-elles vraiment été commercialisées ?

L’Helyett 750 MH de 1930 à 33 coche toutes les cases : moteur JAP bicylindre en V face à la route, boîte Bridier-Charron et transmission par arbre sous carter avec un moyeu et couple conique Ydral. C’est à se demander pourquoi une moto aussi belle et richement dotée ne s’est pas vendue. Les frères Picard créateurs de la marque à Sully-sur-Loire proposaient également sa transmission sur ses monocylindres.

Helyett 750 MH136 de 1933 : moteur JAP et boîte-transmission Bridier Charron avec un moyeu frein-couple conique Lardy.

La très éphémère 350 Magda que l’on vit au Bol d’Or 1928 (mais non classée) et au salon 29 permit d’admirer ses lignes très nettes avec un bloc moteur JAP 350 cm3 quatre temps à soupapes latérales monté transversal, un arbre de transmission sous carter et un couple conique.

Publicité pour la Magda 350 Moussard 2temps dans le Moto Revue du Spécial Salon 1929.

On pourrait encore citer les Motobécane quatre cylindre 500 cm3 de 1929 à soupapes latérales ou 750 cm3 de 1930 à soupapes culbutées, qui, toutes deux, offraient une transmission par arbre et cardan et un couple conique qui semblait bien provenir de chez Ydral bien que Motobécane ne le dise point.

La Motobécane 750 B7 de 1930 est si belle qu'on en oublie souvent la 500 B5 de 1929 qui défrichait le terrain.
La 750 B7 Motobécane photographiée à l'usine de Pantin pour réaliser le catalogue 1930
Alors, made in Motobécane ou par Lardy à suresnes ?
Le moyeu frein couple conique proposé par les Ets Lardy alias Ydral.

Parmi les trois autre cylindres français présentes au salon de Paris en 1930, la Train équipée d’un bloc moteur maison de 500 cm3 excessivement compact. Malheureusement cette moto aussi moderne que sophistiquée ne fut construite qu’à trois exemplaires et le célèbre motoriste disparaitra en 1936.

La seule Train 4 cylindres survivante exposée au musée Baster à Riom.

Encore un point pour le couple conique avec les Ultima lyonnaises de 1930-31 350 D1 à soupapes latérales D2 culbutée et 50 D3 à soupapes en tête. Sur les trois le vilebrequin tourne face à la route comme c’est le plus logique et le couple conique est fait maison.

L'Ultima 500 D3 de 1934 ici en 2021 à Epoqu'Auto à Lyon.
Le bloc Ultima en couverture du catalogue 1931.
Les 350 D1 à soupapes latérales et D2 à soupapes culbutées, la page suivante montre la 500 D3 et son side-car.

Dans la famille Corbeau, créateur de la marque Utilia, on mange à tous les rateliers. Sont ainsi présentés au catalogue 1930, une 500 R30 à moteur Staub à soupapes latérales disposé conventionnellement plus un renvoi d’angle, arbre de transmission et couple conique pour 6700 F tout comme une 500 R9 animée cette fois par bloc moteur LMP à soupapes culbutées qui tourne dans l’axe de la moto, et une transmission par arbre et vis sans fin. Est-ce le couple conique qui fait la différence ou un mystérieux calcul du père Léon Corbeau, cette R9 ne vaut que 6300 F, 400 F de moins que la R30 !

Parmi les prototypes ou réalisations confidentielles, il faut aussi citer, Les Favor type K à moteur Favor et boîte Bridier Charron de 1929 et type G à bloc moteur Staub de 1930, la Prester 350 monocylindre à moteur Chaise qui fit leTour de France 1930, et quelques autres expériences dont certaines ne vécurent que sur le papier ! Tous les constructeurs français étudient la transmission par arbre.

La Favor 350 G au salon 1930.
Pont Lardy démontable monté sur une Soyer 350 à moteur Chaise au Tour de France 1930.

Les rares adeptes de la vis sans fin

Alcyon et sa 500 Blocvis de 1930 devait donc se sentir bien seul avec sa transmission par arbre et vis sans fin, une solution gourmande que seul prôna en son temps la Beatty & Claxton, puis, dans les années 30,  LMP avec son bloc moteur transmission utilisé par Utilia. Dans l’immédiat avant-guerre, en 1938, Marcel Guiguet, le petit constructeur des MGC à  Corbelin en Isère, réalise son rêve avec une 600 cm3 qui s’inspire d’un moteur d’avion à quatre cylindres quatre temps en ligne disposé tête en bas ce qui place la transmission par arbre et sa vis gourmande au dessus de la couronne arrière.  La même année, la Sévitame reprend un principe similaire, mais avec deux cylindres inversés seulement et en deux temps. La seule excuse à son pont à vis, est qu’il est prévu pour recevoir une hélice en bout d’arbre et transformer la moto en une sorte de moteur de hors bord.

La MGC 600 cm3 à quatre cylindres inversés de 1938.
La Sévitame de 1939, ici sur une rare photo d'usine, avait de bonnes excuses pour choisir une vis sans fin car on pouvait prolonger la transmission pour entrainer une hélice.
La transmission de la Sévitame. La roue creuse (bien usée !) est en bronze et la vis tangente à plusieurs filets est en acier.
Je ne vous présente plus l'Alcyon 500 Blocvis à laquelle l'article précédent était consacré.
L'Utilia 500 LMP à transmission par arbre en 1929.
Les éléments de la transmission de la Beatty & Claxton avec son curieux arbre en ressort comme amortisseur. Il faut croire que ce deux temps était bien brutal !
Une autre Beatty & Claxton que celle présentée au début de cet article. Il s'agit cette fois d'un 2 temps de 300 cm3 qui participa au Tour de France 1924 (© BNF Gallica)

Epilogue

Les suites de la crise de 29 mettront malheureusement un point final à la renaissance des motos françaises de haut de gamme et élagueront bien vite cette forêt d’arbres si rapidement poussée chez nos constructeurs. L’arbre français renaît pourtant dans l’immédiat après guerre avec les CMR basées sur des pièces BMW et qui se francisent progressivement avec les CEMEC de 1946 à 55, puis avec les Ratier, mais l’aventure prend malheureusement fin en 1962.

La Ratier C6 de l'escorte présidentielle en 1958 présentée au salon de Paris. La beaucoup plus moderne C6S apparaît en arrière plan.

En 1968. C’est une révolution qui apparaît là où on l’attend le moins, chez Vélosolex qui présente le Solex Flash, plus tard rebaptisé 6000, un cyclomoteur hors normes avec une transmission par arbre et couple conique. Le modèle vivotera jusqu’en 1973.

Le Solex 6000 de 1972 à transmission par arbre.
Une couronne à taille oblique en sortie moteur entraîne l'arbre de transmission sers un couple conique (désacouplable) fixé sur la toue arrière.

La belle histoire des motos françaises à transmission par arbre se termine avec la BFG. Seuls les prototypes « Boccardo » empruntaient boîte et transmission à Moto Guzzi. Sur le modèle définitif la boîte et la transmission par arbre sont  conçus par BFG avec, au départ, une fabrication en Italie puis, après la reprise par MBK en 1983, une fabrication entièrement française.

La BFG-MBK lors de sa présentation au salon de Paris en 1983 accompagnée de la version Police qui ne servira que fort peu.
Petit tour d'horizon de la popularité de la transmission par arbre pour les motos et des techniques employées. On y verra que ce dispositif n'utilise pas toujours de joint de cardan bien qu'il soit presque toujours nommé ainsi et qu'il y a les partisans du couple conique et ceux de la vis sans fin. Un [...]

Alcyon 500 AR Blocvis 1929-1932

Un coup d’épée dans l’eau

23 octobre 1929 : ouverture du salon de la moto à Paris.  L’Alcyon 500 AR Blocvis à bloc moteur et transmission acatène par Bridier et Charon, qui a été dévoilée dès le 20 juillet 29 dans Moto Revue, est l’une des grandes vedettes en même temps que la 500 AP à transmission par chaîne. Ce sont les deux premières 500 monocylindres à soupapes culbutées produites par la marque et la Blocvis ne sera d’ailleurs homologuée qu’en juillet 1930. Elle restera au catalogue jusqu’en 1932, mais ne semble avoir été produite qu’à quelques dizaines d’unités.

Superbement restaurée par Luc Manche, qui est également l'auteur de toutes les photos couleur, cette 500 Blocvis est sans doute la seule Alcyon survivante et la 14e produite, si l'on se fie au n° frappé sur le moteur, ou la 2e, selon la feuille des Mines. Un autre exemplaire sous label La Française aurait également survécu.
Il semble qu'aucune photo n'ait jamais été publiée de la 500 Blocvis hors des salon. On répare aujourd'hui ce manque avec quelques photos de la Blocvis dans un rallye aux mains du champion de la marque, Lucien Lemasson champion de France en 1928, 29 et 30 sur Alcyon 250 et 350.
Lucien Lemasson au départ du 7e rallye du Sud-Ouest en avril 1931. Il y finit 1er ex-aequo sur l'Alcyon Blocvis avec Tastet sur Gnome & Rhône. La n°8 est la 250 Rovin-Sansoupap de Pujos, la n°12, la 250 Moto-Record de Geneste. On voit aussi l'arrière la 350 Terrot usine (2131 DU 1) confiée à Robin, la HSSE 4445 HU est celle du Bayonnais Lagarde.

Renaissance

L’Alcyon Blocvis de Luc Manche est celle utilisée par un essayeur de la société Gentil et Cie qui avait ordre de l’user au maximum sans réparation, un aller-retour Courbevoie-Deauville étant fait chaque semaine avec cette Blocvis attelée d’un side Bernardet. On peut dire qu’il avait consciencieusement fait le boulot ! Lors de la récupération, elle était dans un état mécanique déplorable. Le jeu total allant des paliers moteur à la tête de piston était d’environ 12 mm. L’axe du piston s’était déplacé dans son logement et avait rainuré le cylindre sur une profondeur de 2 mm, l’embrayage travaillait métal sur métal et les jeux de la transmission étaient colossaux. Et elle tournait pourtant, mais mal ! Le moteur porte le numéro 50214 mais la feuille des Mines donne un n° 50202 sans doute avec un zéro en trop.

 

 

Retrouvée dans un état déplorable, mais quasi complète.
La Blocvis ne partage guère que son haut moteur avec le modèle AP à chaîne.

Fausses jumelles

Les deux 500 Alcyon apparues au salon de Paris 1929 partagent le même haut moteur à double échappement. De nouveau au salon en 1930 et après une brève présentation soulignée de quelques dessins, la presse motocycliste française ne parle plus de cette belle Alcyon acatène qu’elle n’essaiera d’ailleurs jamais. Curieusement en Grande-Bretagne, Motorcycle et MotorCycling sont bien plus diserts sur le sujet dans leurs numéros consacrés au salon de l’Olympia à Londres en novembre 1929. Notre Alcyon 500 Blocvis, qui y trône sur le stand de son importateur l’Omnium Export Cy, est la seule moto française exposée et elle s’y affiche au prix fort :  95 £ alors que les 500 Ascot Pullin sont à 78 £ et les BSA à 57 £ tandis que la bicylindre Silver Arrow à soupapes latérales s’affiche à 55 £ sans option et 63 avec éclairage. Oui, mais elles sont à chaîne alors que notre Blocvis est l’une des deux seules machines exposées ayant une transmission par arbre, l’autre acatène étant la très éphémère Berwick mue par un Villiers deux temps en 250 ou 350 cm3 et, comme la Blocvis, à transmission par arbre et vis sans fin. Ce qui laisse les britons pantois, c’est pourtant avant tout le moteur et la boîte traités en bloc avec un vilebrequin dans l’axe de la moto. Subjuguée, la presse britannique détaille à nouveau la 500 Alcyon Blocvis à l’occasion du salon 1930. Dans son numéro Spécial Salon du 16 octobre, Motorcycle consacre un long article à la la Gnome & Rhône 500 « réminiscence de notre ABC » et revient sur l’Alcyon AR Blocvis exposée pour la seconde année consécutive, en précisant que cette moto sera également commercialisée par les autres marques du groupe Gentil, Armor, Labor, Thomann, Olympique et La Française.

Le catalogue 1930 permet de comparer les fausses jumelles d'Alcyon, version AP à chaîne et AR à arbre.
Culbuteurs enfermés et queues de soupapes à l'air libre.
Allumage et éclairage sont confiés à Lucas.

Mécanique sérieuse, mais choix discutables

Le moteur type CBS (C pour 500, B pour bloc moteur et S pour soupapes en tête) a été, comme d’usage, conçu pour Alcyon par Zürcher tandis que pignonnerie de boîte et sans doute la transmission finale bien que ce ne soit pas dit sont dus à Bridier Charon (qui s’associe plus habituellement au moyeu Ydral à couple conique). Le moteur de la 500 AR Blocvis reprend les côtes longue course (84 x 90 mm) et le haut moteur de la 500 Alcyon AP Super Sport, mais c’est bien tout. Sur la Blocvis le vilebrequin, retourné pour être dans l’axe de la moto, est logé dans un bloc-moteur-boîte en trois parties avec un réservoir d’huile de 2,5 l intégré sous la boîte de vitesses. Contrairement au moteur CS de la 500 Sport type AP qui ne dispose que d’un graissage à huile perdue, l’Alcyon Blocvis s’offre un vrai graissage sous pression par deux pompes mécaniques situées à l’avant du bloc, l’une pour le graissage, l’autre pour l’assèchement du carter moteur et le renvoi de l’huile vers le réservoir. Une magdyno assure l’éclairage et l’allumage. Sur la soie arrière du vilebrequin en cône se fixe un pignon à taille droite qui en entraîne trois autres pour commander, la Magdyno, l’arbre à cames et la pompe à double corps à engrenages. Rien ne se perd, ce dispositif avait été breveté en janvier 1919 par Zedel … marque créée en 1902 par Zürcher et Luthi. Derrière ce pignon à tout faire est emmanché le volant qui sert aussi de cloche de l’embrayage à sec garni de Ferrodo. Il est suivi par la boîte à trois rapports commandés par un levier direct. Curieusement le kick débat dans le sens habituel, et non transversalement, « à la BMW » comme il aurait été logique avec les axes moteur en long. En sortie de boîte, l’arbre est précédé par un tambour de 100 mm enserré par les mâchoires du frein arrière. (Une technique déjà utilisée par BMW de la R39 de 1925 jusqu’aux R11 et R16 de 1929 à 34). Sur ce tambour, trois douilles sur silent blocs reçoivent l’arbre de transmission qui entraîne par le même type de fixation le pont arrière à vis sans fin et couronne hélicoïdale en bronze fixé sur la roue arrière.  Notez au passage qu’une fois de plus l’appellation transmission à cardan est totalement fallacieuse, car il n’y a pas le moindre joint de cardan, mais un simple arbre rigide.

500 cm3 culbuté à deux échappements, bloc moteur, transmission par arbre, cadre double berceau, l'Alcyon AR Blocvis semblait réunir tous les atouts, et pourtant…
Le pont arrière à vis sans fin. On en profite pour vous signaler que les huiles modernes pour pont à vis ne conviennent pas aux véhicules anciens, car leur additif au plomb a été remplacé par d'autres que n'apprécie pas les engrenages en bronze. Moralité, restez au bon vieux Ricin.
Originale jusque dans les freins. A l'avant un Perrot-Piganeau "servo-frein" et, à l'arrière, des mâchoires enserrant un tambour sur l'arbre de transmission.
La pédale de frein est transversale.

En dépit du grand sérieux de sa fabrication, cette belle mécanique améne à se poser quelques questions sur l’entretien, car il faut déposer le moteur pour accéder à l’embrayage, et sur le choix discutable d’une vis sans fin bien plus gourmande en puissance qu’un couple conique pourtant disponible pas loin, car il est commercialisé depuis 1928 par les établissements Lardy plus connus sous l’anagramme d’Ydral. En association avec Bridier Charon, son voisin constructeur de boîtes de vitesses à Suresnes, Lardy équipa d’ailleurs la grande majorité des motos de 1929-30 qui firent partie de cette mode fort épisodique de la transmission par arbre. On peut noter dans l’ordre les Helyett 350 et 500 JAP, la Magda et la DéDé à moteur Moussard 350 deux temps, et sans doute les Motobécane 500 et 750 quatre cylindres bien que ce ne soit pas dit.

Belle idée de Luc Manche que d'exposer son travail avant le remontage.

Chère Alcyon

Au salon 1929, l’Alcyon Blocvis est à 8575 F au catalogue 1930 contre 7050 pour la 500 Supersport à transmission par chaînes. Pas de salon à Paris en 1931, mais la 500 Alcyon est encore présentée au catalogue pour 1932. Les prix des deux ont baissé tout en conservant plus ou moins la même différence en pourcentage, à 7500 F pour la AR Blocvis contre 5900 pour la 500 AP Supersport à boite séparée Bridier Charon et transmission par chaîne. La Koehler Escoffier 500 à simple ACT s’affiche à 7900 F et la Terrot 500 NSS0 2 à moteur JAP ne vaut que 7700 F  

Au catalogue, mais pas au magasin

Alcyon n’a d’ailleurs jamais vraiment mis même sa Blocvis en avant sur ses publicités, et, bien qu’elle reste jusqu’en 1932 au catalogue, elle semble ne s’en être vendue qu’un nombre d’exemplaires très restreint. Pas de chance, la carrière de la Blocvis sera attaquée sur tous les fronts. Elle est en partie éclipsée aux si riches salons de Paris en 1929 et 30 par les nouvelles et prestigieuses quatre cylindres françaises, Motobécane, Train et Dollar, ou la Majestic à moteur JAP en V face à la route (avec la même boîte Bridier Charron, mais associée ici à un pont Ydral à couple conique). L’usine d’Alcyon qui ferme après le retrait d’Ernest Zürcher (qui décède le 4 juillet 1935) et les conséquences du crack de Wall Street en 1929 mettent un point final aux tentatives d’Alcyon en grosse cylindrée. 

Couverture du catalogue 1930
Publicité dans Moto Revue le 2 novembre 1929
… et une ultime publicité dans Moto Revue en 1932.
Au catalogue 1930.

Fiche technique

Moteur Zürcher type CBS monocylindre 4 temps tournant dans l’axe de la moto – 498 cm3 (84 x 90 mm) – 18 ch à 3600 tr/min – Soupapes culbutées – Culasse hémisphérique à double échappement – Graissage sous pression et carter sec, réservoir de 2,5 l d’huile intégré à l’arrière du carter moteur – Carburateur Amac – Allumage Magdyno et éclairage Lucas – Embrayage multidisque à sec – Boîte 3 vitesses commandée par levier – Transmission finale par arbre et vis sans fin – Cadre double berceau tubulaire – Suspension avant à parallélogramme type Webb à ressort central – Pas de suspension arrière – Frein avant Perrot Piganeau ø 170 mm, ar. à mâchoires sur un tambour ø 100 mm sur la sortie d’arbre de transmission – Pneus 19  » – 149 kg – 115 km/h

Merci à Frédéric Soupey qui m'a donné le lieu et la date de cette photo. C'est donc au "7ème Circuit du Sud-Ouest" organisé par le MC Bordeaux qui s'est couru du 4 au 6 avril 1931 en 3 étapes sur un parcours de 991 km.
Un coup d'épée dans l'eau 23 octobre 1929 : ouverture du salon de la moto à Paris.  L'Alcyon 500 AR Blocvis à bloc moteur et transmission acatène par Bridier et Charon, qui a été dévoilée dès le 20 juillet 29 dans Moto Revue, est l'une des grandes vedettes en même temps que la 500 AP [...]

Bol d’Or 100 ans/200 photos #7 : 1958-60

C’est la fin. Le public boude Montlhéry et la moto entame son grand déclin pour les raisons qu’on connait : assurance obligatoire et chère, apparition des voitures économiques et guerre d’Algérie mobilisant les jeunes pendant 27 mois. Autant d’arguments qui conduiront les organisateurs à arrêter le Bol d’Or après sa 32e édition, en 1960.

Pour les résultats complets des Bols d’Or de 1922 à 2010, reportez-vous aux indispensables récapitulatifs de racingmemo.fr

1958

Cette 30e édition, dont je vous parlerai fort peu faute de photos, est marquée par une première victoire de Triumph, avec Inizian et Mutel sur une machine de série, le dernier record de Gustave Lefevre n’est cependant pas battu, mais il était, faut-il le rappeler sur une Norton Manx en série Course. En revanche le record en 175 cm3 tombe pour la troisième année consécutive avec Ydral sur podium une nouvelle fois dans cette catégorie très fournie où les neuf équipages au départ sont tous à l’arrivée. La surprise vient des scooters avec l’étonnant 175 PP Roussey Course à refroidissement liquide et le plus habituel Rumi, vainqueurs respectivement des catégories scooters 175 et 125 Course.

-1: On espéra un temps à une victoire française en 500 avec la Ratier prototype de Nebout-Cherrier en tête avant de d’exploser son ventilateur de dynamo puis le palier avant du vilebrequin. Faute de photo au Bol, celle-ci est prise la même année aux 2-Heures de Montlhéry avec « Tano ». -2: La 250 FN des inséparables Heuqueville et Krajka (#34) suivie par le PP Roussey minuscule des frères Terrioux (#63) et la DKW 350 de série de Bernard et Bergeron qui fait une formidable démo et termine 3e au général derrière les 500 de série Triumph d’Inizan-Mutel et BMW de Nenning-Delaherche. -3: Le scooter PP Roussey des frères Terrioux #63 à la poursuite de la 175 Mochet de série #48 d’Arambol-Maisse. -4: Je reviens avec une photo récente par FAJ de la Mochet. On connaissait l’entreprise Charles Mochet à Puteaux pour ses voiturettes avant et pendant la guerre. Georges, le fils de Charles réalise au printemps 1958 cette CMS (Charles Mochet Sport) avec l’assistance de Georges Agache metteur au point chez Ydral et qui a déjà conçu les Libéria des Bol d’Or 1956 et 57. Dotée d’un très beau cadre façon Norton Featherbed et d’un moteur Ydral préparé aux petits oignons, cette Mochet se vendit à quelques exemplaires et fut surtout une sortie remarquée à ce Bol d’Or de 1958 où elle termine 2e de la catégorie 175 Sport et 19e au général aux mains d’Arambol et Maisse. -5: Le Rumi #69 des vainqueurs en catégorie scooter course Foidelli-Bois qui couvrent quand même 2096 km à 87,3 km/h de moyenne. -6: Foule admirative à l’arrivée autour du PP Roussey #63 des frères Michel et Bernard Terrioux. -7: Cette ultime photo n’est pas prise au Bol d’Or 1958, mais elle nous montre en piste le regretté Pierre Ducloux qui racheta et restaura cette machine.

1959

Norton est revenu, cette fois avec l’équipage Briand-Bargetzi et toujours sur une 500 Manx qui prouve, s’il en était besoin, l’extrême fiabilité de cette moto de course… à condition toutefois qu’elle ait été méticuleusement préparée par le multiple recordman à son guidon Gustave Lefevre.

Ne vous attendez pas à voir les photos des vainqueurs, je n’en ai pas… -1 et -2: encore que si, et avec une double vue du superbe Morini 175 Settebello piloté par Jacques Roca et Esme qui termine 1er en catégorie 175 Sport et 15e au général. -3: Cette belle position de l’équipage Gilbert-Picache sur 175 Gnome et Rhône en catégorie course ne lui suffit pas à vaincre la Morini de Couturier-Bettiol, la Spéciale de Freze-Parans, ni même la Peugeot de Fusaari-Michaut et il n’est que 4e de sa classe -4: En revanche, sa Gnome Rhône superbement restaurée nous parfois l’honneur d’un salon.-5: La BMW 500 de Vasseur-Maucherat sera contrainte à l’abandon.

1960

Guerre d’Algérie, assurance obligatoire et chère, facilité d’accès à des voitures économiques, la moto a entamé en 1957 un long déclin qui poussera les organisateurs à arrêter en 1960 ce Bol d’Or qui, pour la première fois, compte pour le championnat FIM d’endurance. Dommage, notre industrie nationale venait enfin de relever la tête ! Il n’y a que 31 machines au départ le6 juin 1960 à Montlhéry et que des privés. 10 seulement seront à l’arrivée. Cette fois les BMW seront à l’honneur aux première et deuxième places tandis que notre grande concurrente nationale, la Ratier sera malheureusement contrainte à l’abandon à mi-course. Mes archives sont assez riches pour cette année, mais dans quel état, et les plus intéressantes ne sont souvent pas les plus utilisables. Figurez-vous que ces rouleaux de pellicule, comme des milliers de tirages papier, ont été sauvés par un brocanteur dans une benne à ordure en plein air ! Comment peut-on jeter ainsi les seules images survivantes de notre patrimoine motocycliste. Maigre consolation, une bonne partie des tirages papier retrouvés (années 20 majoritairement) ont été restaurés à grands frais par les services spécialisés d’un musée allemand. Cette triste histoire étant racontée, place aux images sauvées.

-1: Cette image sciemment non restaurée (et il y a pire) vous donne une idée de l’état du lot retrouvé. On distingue quand même, au centre des moisissures, la BMW R50 de Manteau-Bargetzi 2e au général et dans sa catégorie. -2, -3 et -4: Tenir 24 heures ne se fait en général pas sans incident et les vainqueurs René Maucherat et René Vasseur n’y échappent pas. On les voit ici s’arrêter pour un ravitaillement et finalement coucher le R50 de l’écurie Jean Murit (en bonnet sur les photos) par terre devant les stands pour démonter un cylindre et changer la pompe à huile à la 20e heure. 60 minutes de réparation, mais qu’importe, ils avaient 25 tours d’avance sur l’autre BMW de Bargetzi-Manteau, ils n’en auront plus que cinq. -5: Première moto française et 1ère en 175 Course, la Peugeot de Hais-Parans. -6: Encore une BMW mais cette fois en catégorie Course avec un moteur de Rennsport dans un cadre de R50 qui mena le début de course avant d’abandonner pilotée par Dagan et Larivière avant d’abandonner à la 16e heure. -7: La grande déception nationale en 500 Sport, une Ratier aux mains de Nebout et Charrier père, l’autre avec Delauné et Cherrier fils  (photo) qui abandonnent respectivement aux 18e et 14e heures. la Ratier 500 GS qui a récemment finit 9e aux 2 heures de Montlhéry avec Cherrier abandonne ici. -8: Abandons itou, à la 12e heure pour la belle Adler de Nies-Heinen engagée en 250 Course et pour la 350 Maico de Charles et Bernard Krajka. -9: Les Krajka père et fils sur leur Maico 350 Taifun, une machine lourde et sophistiquée parfaite pour le tourisme, mais bien peu adaptée à la course. -10: Dans ce pauvre plateau le seul scooter engagé est dans la même catégorie que les les 175 Sport dont aucun des quatre engagé ne termine ! C’est au moins une occasion unique de s’extasier devant ce scooter Heinkel 175 revu et corrigé par leurs pilotes Pfhul et Sehring. 11: Terminons ce Bol en déroute avec l’un des deux side-cars engagés, le BSA 750 de Lenormand-Barthélémy qui ne termina pas plus que la Cemec concurrente.

C'est la fin. Le public boude Montlhéry et la moto entame son grand déclin pour les raisons qu'on connait : assurance obligatoire et chère, apparition des voitures économiques et guerre d'Algérie mobilisant les jeunes pendant 27 mois. Autant d'arguments qui conduiront les organisateurs à arrêter le Bol d'Or après sa 32e édition, en 1960. Pour [...]

L’inconnue du musée de Bry

Aujourd’hui c’est le musée Adrien Mentienne à Bry-sur-Marne qui m’envoie une devinette pour renseigner une photo.

« …L-Sport » lit-on sur le réservoir et elle semble être immatriculée dans la Seine entre 1925 et 26. L’un de vous saura-t-il l’identifier plus précisément?

-News-

Aujourd'hui c'est le musée Adrien Mentienne à Bry-sur-Marne qui m'envoie une devinette pour renseigner une photo. "...L-Sport" lit-on sur le réservoir et elle semble être immatriculée dans la Seine entre 1925 et 26. L'un de vous saura-t-il l'identifier plus précisément? -News-

Des Alpino au Bimot

Surprise en parcourant dans mes archives les photos d’Henri Lallemand, qui travailla longtemps pour L’Automobile, je tombe sur toute une série de photos d’une intrigante « Bimot » 50 cm3 quatre temps de belle facture. Il va s’avérer qu’il s’agit en fait d’un Alpino rebadgé pour sa vente en France par Motoram, déjà distributeur des scooters Rumi… belle occasion pour revenir en bref sur l’histoire de la marque Lombarde de Stradella très provisoirement mal nommée chez nous.

Découverte du "Bimot" en 1959. Motoram, l'importateur, a eu la bonne idée de remplacer le grand guidon vu au catalogue par un cintre plat.

Évidemment, mis à part, sans doute, un numéro de L’Automobile que je n’ai pas, on ne parle du Bimot nulle part ou presque. À peine une petite photo-légende dans le Moto Revue du salon 1960 reprise à l’identique dans Cyclomoto. Les différentes encyclopédies sur la moto ignorent ce nom de marque et, seul, l’historien italien Abramo Giovanni Luraschi, auteur d’une remarquable encyclopédie sur la moto en cinq volumes, écrit qu’il a vu le Bimot dans des journaux français, mais qu’il n’en sait pas plus. C’est honnête de sa part, mais cela ne m’avance pas.

Je finis par trouver sur eBay un catalogue Bimot qui affirme que l’usine, sise à Stradella près de Pavie et à une quarantaine de kilomètres au sud de Milan, est l’une des plus vielles d’Italie — « Bingo » — Stradella, c’est Alpino, et, de fait, le beau 50 Bimot tout comme le cycloscooter sous même Label ne sont que des Alpino rebadgés. Le prospectus ne ment pas, l’usine de Stradella créée en 1925 par Paolo Trespidi, est l’une des plus anciennes d’Italie.

Le Bimot 48 T testé en France en 1959 par « L’Automobile ».

Cliquer pour dérouler le diaporama.

L'Alpino 50 T48 de 1960, le vrai, photographié par Bernard Soler-Thèbes dans son habillage pour les Pays-Bas avec immat avant.
Le moteur T48 quatre temps utilisé par Alpino de 1957 à 60 sera aussi choisi en Italie par Beta pour son 50 SSK de 1960.

Et un cycloscooter 50 cm3 deux temps en 1960 version Alpino ou Bimot

La mouture siglée Bimot à l'ouverture du salon de Paris en 1960.
1960: Motoram annonce le 50 2 temps à 1090 F, le 4 temps à 1350 tout comme cycloscooter. A titre de comparaison une Mobylette AV88 vaut 805 F, une Paloma Super Strada 1060 F.

Retour sur l’histoire d’Alpino

Paolo Trespidi  construit sa première moto en 1925. Une 250 deux temps, produite en (petite) série dès l’année suivante par sa société Motobici à Stradella et bientôt célèbre en remportant le championnat d’Italie. Suivent des versions Sport et Tourisme ainsi que des 175 cm3. La crise de 1929/30 met provisoirement fin à l’aventure.

De l’Auxiliaire à l’utilitaire

1944. L’Italie exsangue a besoin impérieux de petits véhicules personnels économiques, cela fera la fortune des Vespa, du Mosquito et du Cucciolo et de nombreux autres, mais l’un des pionniers fut notre Paolo Trespidi qui remet l’usine en route dès 1944 avec un étonnant petit moteur auxiliaire qui inaugure la marque Alpino et qui sera produit de 1945 à 48. Ce petit Alpino, premier du nom, est un monocylindre deux-temps, à deux vitesses et transmission finale par chaîne. Il pouvait être placé au centre du cadre ou, de préférence, dans la zone latérale la plus proche de la roue arrière. En 1948, alors que ce micromoteur rivalise avec le Mosquito de Garelli et le Cucciolo que vient de commencer à produire Ducati, Alpino décline sa production en versions avec ou sans embrayage et avec ou sans boîte 3 vitesses, puis en 65 cm3 avec les deux. Vendu en moteur seul le ST, ou avec la première moto complète d’Alpino, le Piuma 65 ST est doté de suspensions avant et arrière. Folie des grandeurs, Alpino présente même en 1949 un scooter plutôt moderne basé sur les brevets du mythique Marinella 125 bicylindre, mais ici plus sagement animé par le 98 cm3 deux temps monocylindre de la marque. Il restera à l’état de projet.

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Alpino S 48 de 1945
La version 1948 du moteur auxiliaire Alpino.
Le type C de 1948 du moteur auxiliaire Alpino.(© Amici delle Motobici Sottocanna)
Le 50 deux temps Alpino A48 de 1953.

La vitesse mène la danse

Spécialisée dans les petites cylindrées Alpino réalise ensuite des 75, 98 et 125 cm3 deux temps, un triporteur sur la base du 65 cm3 puis un 75 cm3 quatre temps conçu par Mario Melone qui a déjà réalisé les 500 Gilera monocylindres culbutés. En janvier 1952, sous l’égide de Perales l’importateur en Argentine, une version mue par ce 75 cm3 et dotée d’un carénage integral pour le moins peu orthodoxe, atteint 128 km/h et bat le record de vitesse dans sa catégorie sur une piste d’aérodrome près de Buenos Aires.  Un mois plus tard c’est au tour du petit 50 deux temps de remporter sa coupe en Argentine en battant les records du monde du kilomètre et du mile lancé, avec respectivement 92 et 90 km/h battant ainsi le record établis en avril par Victoria en Allemagne, puis 15 jours auparavant par un Cucciolo à 81 km/h en Italie. En Italie comme en Argentine, le prestige d’un record, qu’il s’agisse d’un kilomètre lancé ou de 24 heures d’endurance, était le must indispensable pour s’aligner face aux marques de motos déjà bien établies. Alpino remet d’ailleurs le carénage fin 1955 pour diverses tentatives à Monza où un Alpino 50 signe quelques temps mémoriaux sur longue distance, des 500 kilomètres aux 6 heures, avec des moyennes d’environ 84 km/h. Trois ans plus tôt en Argentine, Vaifro Meo, avec le la même base mécanique mais beaucoup plus largement carénée, avait battu les records du kilomètre et du mille départ arrêté, aux moyennes respectives de 73 et 77 km/h. A la fin de l’année, avec une machine entièrement revue, Meo établit de nouveaux records sur 10 kilomètres, 10 miles et 50 kilomètres sur un circuit d’un peu plus de 3 000 mètres, à des vitesses entre 97 et 104 km/h. Records malheureusement non homologués par FIM.

L'Alpino 125 deux temps (à droite) court ici aux mains de Minot en août 1951 au 3e GP de Vaison-La-Romaine. A sa gauche Ernest Gache (MV Agusta 125 deux temps) et Henri Schaad 1er en 125 sur la Nougier 125 double arbre (et également 1er sur la 175 à 2 ACT).
Le 50 Alpino lors de ses records mondiaux à Monza en 1951 ((© Amici delle Motobici Sottocanna)

La production des Alpino franchit un pas de plus en 1953

Cette année-là est présenté un 125 Gran Sport dérivé du 98 cm3 deux temps. Un an plus tard apparaît un 75 quatre temps, puis une 175 sans grande originalité. Alpino n’abandonne pas le deux temps pour autant et suivent, en 1956, un scooter à grandes roues de 16 pouces et moteur deux temps, monoplace en 48 cm3  et biplace en 75 cm3. Il est importé en Grande-Bretagne en 75 cm3 dès 1957, mais n’apparaît en France et sous label Bimot, qu’au salon de Paris 1960. Bimot s’étant contenté de prendre le 48 avec l’équipement plus valorisant du 75. Sur notre version nationale ce classique deux temps doté de pédales et d’une boîte à 3 rapports commandés par poignée tournante développe 1,5 ch à 4500 tr/min. En 1955 un 200 cm3 quatre temps est développé sur la basse du 175. En fait ces deux quatre temps culbutés Alpino, ne diffèrent que par les côtes internes des moteurs : 59,5 x 62 mm pour la 175 cm3 annoncée pour 8 ch à 5000 tr/min et  64 x 62 mm pour la 200 cm3 qui revendique 10 ch.

Une Alpino 125 Gran Sport de 1953… dans son jus.
Dès 1957, le cycloscooter Alpino était exporté en Grande-Bretagne (documents ManxNorton.com)

Espoirs et faillite argentine

Comme nombre de marques italiennes, dont Ceccato, Gilera, Lambretta, Legnano ou Rumi, Alpino se tourne vers le marché argentin en 1955 et des 50, 75 et 125 cm3 commencent à être assemblés à San Justo près de Buenos Aires dès les premiers mois de 1956.  Tous les espoirs sont permis mais ce beau chateau de cartes ne va pas tarder à s’écrouler. En Italie, le marché de la moto est durement touché par la crise qui touche toute l’Europe et la situation politico-économique est bien pire encore en Argentine. Alpino a développé en 1959 une 250 cm3 extrapolée de la 200, avec des côtes carrées de 68 x 68 mm et une esthétique ne différant guère que par son double phare. Le modèle présenté à Milan ne sera pourtant jamais construit en Italie et Alpino envoie les composants pour y être montés à San Justo. Quelques milliers d’exemplaires sont prévus mais la construction ne suit pas et Alpino dont un tiers de la production est exportée en Argentine, finit par déposer son bilan en avril 1963 après avoir fait des efforts désespérés pour exporter vers la Grande-Bretagne, comme aux États-Unis et réussi à vendre ses moteurs à quelques autres marques : Mi-Val en 125 ou Beta en 50 quatre temps. Présentés en 1960 sous label Bimot au salon de Paris, les modèles déjà existants depuis 1956 sous leur vrai nom d’Alpino, ne connaîtront qu’une diffusion plus que confidentielle en France durant les deux années où la société Motoram les distribuera. (Ladite société qui officiait par ailleurs depuis 83 ans, disparaît le 25 décembre 1984.) Les ultimes tentatives de survie d’Alpino apparaissent au salon de Milan de 1959 avec un scooter présenté en 150 et 175 cm3 et de ligne assez classique, au décor près (Le 175 dispose même d’un démarreur électrique) et la fameuse 250 quatre temps à double phare, mais il est trop tard et Alpino ferme ses portes.

L'ultime production d'Alpino au salon de Milan de 1959.
Ressemblant comme une soeur aux 175 et 200 cm3 quatre temps de la marque, la 250 Alpino présentée en 1959 ne se distingue que par son double phare et deux échappements superposés façon Moto-Guzzi.
Surprise en parcourant dans mes archives les photos d'Henri Lallemand, qui travailla longtemps pour L'Automobile, je tombe sur toute une série de photos d'une intrigante "Bimot" 50 cm3 quatre temps de belle facture. Il va s'avérer qu'il s'agit en fait d'un Alpino rebadgé pour sa vente en France par Motoram, déjà distributeur des scooters Rumi… [...]